mercredi 6 mai 2015

Une convention collective peut-elle déroger, de façon défavorable pour le salarié, aux dispositions d'ordre public relatives aux conditions de recours et de forme du contrat de travail à durée déterminée?





Dans le domaine lié à la pratique du rugby professionnel, la Cour de cassation a récemment répondu par la négative à cette question.

Dans les faits, le 19 février 2007, M. Z. avait conclu avec la Société Rugby Club Toulonnais (R.C.T), un « pré-contrat de travail » par lequel il était engagé en qualité de joueur de rugby, pour une durée correspondant à deux saisons de rugby, entre le 1er juillet 2007 et le 30 juin 2009.

Selon ce « pré-contrat de travail », M. Z. percevait une rémunération mensuelle nette de 17.000 €, outre le remboursement de ses billets d'avion, la prise en charge d'un logement (à hauteur de 1.000 € maximum) et la mise à disposition d'un véhicule.

Or, par un contrat du 13 juillet 2007, à effet du 1er juillet, M. Z. a été engagé en qualité de joueur de rugby pour les deux mêmes saisons sportives, mais moyennant cette fois un salaire mensuel brut de 9.915 €, outre des avantages en nature (notamment une prise en charge du loyer à hauteur de 880 €, d'un véhicule à hauteur de 525 € et pour 8.000 € annuels correspondant aux billets d'avion).

Par un avenant en date du 31 mai 2009, la Société R.C.T et M. Z. ont rompu le contrat du 13 juillet 2007. M. Z. a alors saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

La Société R.C.T a notamment été condamnée au paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de requalification (et au titre de la rupture) et le contrat de travail à durée déterminée a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée.

La Société R.C.T a alors formé un pourvoi en cassation.

Elle invoquait la Convention collective du rugby professionnel et expliquait qu'il résultait « de l'article 1.3 de la Convention collective du rugby professionnel que les contrats de travail ne peuvent être conclus que pour une durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons ; qu'en requalifiant le contrat de travail à durée déterminée du 13 juillet 2007 en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a violé les articles 1.3 de la convention collective du rugby professionnel et 1134 du code civil ».

A cet argument, la Cour de cassation a répondu « qu'une convention collective ne peut déroger, de façon défavorable pour le salarié, aux dispositions d'ordre public relatives aux conditions de recours et de forme du contrat de travail à durée déterminée ».

La chambre sociale soulignait alors que « les dispositions illicites de l'article 1.3 de la convention collective du rugby professionnel, qui imposent le recrutement des joueurs professionnels par voie de contrat de travail à durée déterminée ne pouvant excéder cinq saisons, ne peuvent faire obstacle à la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée remis au salarié après l'expiration du délai de deux jours prévu à l'article L. 1242-13 du code du travail ».

Néanmoins, dans cette affaire, au visa de l'article 1134 du Code civil, la Cour de cassation précisait qu’« Attendu que pour condamner le club à payer la somme de 100 000 € en application de la clause pénale stipulée au pré-contrat du 19 février 2007, l'arrêt retient que quand bien même le contrat de travail à durée déterminée stipule, à l'instar de la clause figurant dans le contrat-type de la Ligue nationale de rugby, une clause selon laquelle « tous les contrats (ou accords) passés antérieurement entre le club et le joueur sont annulés », il n'en demeure pas moins que, d'une part, la signature du contrat à durée déterminée a pour principal objet de ratifier le pré-contrat et, d'autre part, le joueur n'a à aucun moment consenti expressément et de manière non équivoque aux dispositions de ce pré-contrat devant être reprises dans le contrat, notamment celles relatives à la rémunération ;Qu'en statuant ainsi, alors que le contrat signé le 13 juillet 2007 stipulait que tous les contrats ou accords antérieurs conclus entre le club et le joueur étaient annulés, ce dont il résultait que le pré-contrat du 19 février 2007 était saisi par cette clause d'annulation, la cour d'appel, a violé le texte susvisé ».
En outre, au visa de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour de cassation déclarait qu’« attendu que pour condamner le club à payer certaines sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents et pour rupture abusive du contrat, l'arrêt retient qu'il n'est pas sérieusement discuté qu'à la date du 31 mai 2009, en l'état du contrat à durée indéterminée dont le salarié peut rétroactivement se prévaloir, le club ne lui a plus fourni aucun travail et a rompu de fait la relation de travail avec le joueur, sans lui avoir adressé une quelconque lettre de licenciement énonçant la cause réelle et sérieuse de la rupture ;Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du club soutenant que la rupture était intervenue d'un commun accord le 31 mai 2009, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé». (Cour de cassation, chambre sociale, le 2 avril 2014, n° 11-25442)

L’arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, rendu le 30 août 2011, fut ainsi cassé et annulé mais seulement en ce qu’il avait condamné la Société R.C.T à payer à M. Z. les sommes de        100.000 € en application de la clause pénale, 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, 12.170 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1.217 € au titre des congés afférents.

Ce qu’il faut savoir

Le préambule de la Convention collective du rugby professionnel (dans sa version consolidée au 29 avril 2014) dispose :

« Le sport professionnel en général est une activité économique, de surcroît créatrice d’emploi. Les Clubs sont donc des entreprises, certes atypiques, eu égard à la nature particulière de leur activité et aux conditions de son exercice. Comme tout autre sport, le rugby professionnel a une spécificité forte qui accroît encore cette singularité, concrétisée notamment par les missions confiées à la Ligue Nationale de Rugby (L.N.R), par délégation de la Fédération Française de Rugby (F.F.R), de gestion et d’organisation des compétitions professionnelles. Il est, dès lors, important de souligner les caractères identitaires de cette activité en préambule de la convention collective visant à définir les conditions d’emploi, de travail, de rémunération, ainsi que les garanties sociales de ces travailleurs atypiques que sont les joueurs et entraîneurs. L’économie de ce contrat collectif de travail ne peut, en effet, qu’en être fortement imprégnée.

Un Club est considéré comme une entreprise de spectacle dont l’objet, à savoir la participation à des compétitions sportives, suppose l’égalité des chances. Ceci confère d’autant plus une spécificité à cette activité que le volume des ressources est étroitement lié aux résultats sportifs et que la structure de ces ressources est inhabituelle (sponsoring, droits de télédiffusion, droits d’entrée et recettes liées aux matches tout spécialement). En outre, les charges sont essentiellement constituées des rémunérations des joueurs et entraîneurs.

Le contenu du contrat du joueur est, quant à lui, largement conditionné par le caractère ludique de cette activité, mais aussi par la durée intrinsèquement courte de la carrière ainsi que l’importance, pour une exécution normale des obligations contractuelles, de l’état physique et mental, et ceci aussi bien au plan de la qualité de la prestation de travail que de la protection de la santé.

Il découle de ces spécificités un devoir, moral notamment, des différents dirigeants du rugby 
professionnel de favoriser l’épanouissement des joueurs et entraîneurs au sein du Club, ainsi que la préparation de la reconversion extra sportive des joueurs. Ces spécificités créent également des obligations morales particulières aux joueurs et entraîneurs en matière de contribution aux résultats du Club et à son développement. »

L’intégralité du texte de la Convention collective du rugby professionnel est disponible sur le site de la Ligue Nationale de Rugby (L.N.R).


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